mardi 30 août 2011

Deux poids, une mesure.

Il y a deux manières de se griller dans la République des lettres. La première c'est de plagier. La seconde de défendre le plagiaire.

Le plagiaire en question s'appelle Joseph Macé-Scaron, directeur du Magazine Littéraire. Le 22 août, Acrimed révélait le goût de l'auteur pour le copier-coller. Le plus troublant dans l'affaire c'est que les passages empruntés ne l'étaient pas parfaitement. Retrouvant en cela les méthodes des cancres habiles, notre vénérable édile de la culture et des lettres maquille l'emprunt. Il change quelques mots, renverse quelques tournures, synonymise… Tel quel, le plagiat est indétectable, sauf par quelqu'un qui connaît le texte ou… qui suspecte le plagiat.

Car c'est un peu le problème qui se pose maintenant. Quiconque ment une fois met en cause sa crédibilité. Journalistes et amateurs se sont mis à consulter en profondeur la bibliographie. Ce qu'ils y ont déterré n'est guère ragoûtant : un emprunt à Arlington Park de Rachel Cursk et un autre à La Belle vie de Jay McInerney toujours dans le même Ticket d'entrée, une reprise du second Journal parisien d'Ernst Jünger dans Trébizonde ou l'oublie, une inclusion d'Ainsi parlait le hassidisme de Victor Malka dans le cavalier de la nuit… En moins d'une semaine, c'est tout un tissu d'intertextualités masquées qui est mis au jour. Il suffirait sans doute de tirer un peu plus pour en trouver d'autres (meilleur lecteur qu'écrivain, Macé-Scaron ne s'est sans doute pas privé d'aller piller certaines productions obscures ou méconnues). A ce niveau-là, le plagiat n'est plus une connerie : c'est un système éditorial, qui implique peut-être l'action transitoire de certains ghost writers (non, non, je n'utiliserais pas l'équivalent français qui, en plus d'être éthiquement limite, s'avère beaucoup moins subtil que l'expression anglaise).

Face à une affaire qui menace son statut d'homme-invité-par-les-médias, Macé-Scaron dépêche son fidèle employé et ami, Pierre Assouline. Celui-ci lui consacre une chronique dans le Monde des livres de vendredi, reprise ce week-end son blog. Elle ne va pas dans la demi-mesure. Assouline parle de lynchage, d'un homme jeté à la fureur de la meute, férocement tailladé par tout ce qui poste ou qui tweete. Toutefois, à partir du moment où il victimise Macé-Scaron, Assouline est un peu contraint de se trouver un bouc-émissaire. Il ne peut se contenter de dénoncer la vague interface qu'est le web. Il lui faut une cible. Et voilà qu'il tombe à bras raccourci sur son meilleur ennemi : Wikipédia.

Dans la brève notice biographique de Joseph Macé-Scaron sur Wikipédia, l’affaire occupe déjà quatre lignes, espace disproportionné. Gageons qu’il ne diminuera pas avant longtemps. Le mal est fait.

Meilleur ennemi : l'expression définit assez bien les relations entre Assouline et l'encyclopédie en ligne. Tout a commencé en janvier 2007 par un billet assez inquiet (vraisemblablement écrit, une fois de plus, à la demande d'un copain, François Gèze). Puis, rapidement, il décide de donner un tournant un peu plus officiel à ses opinions. Il publie quelque mois plus tard une courte brochure au titre pompeux, la Révolution Wikipédia, rédigée en partenariat avec ses étudiants de science po. Ce travail, d'une qualité toute relative, a été assez justement démonté par les wikipédiens eux-mêmes. Son chapitre inaugural propose pourtant une réflexion assez intéressante sur le plagiat à partir de Wikipédia :

Même à l’université, les étudiants aiment le copier-coller. Alors, quand on est professeur, il faut trouver des astuces. « On essaie de donner des travaux qui ne permettent pas de faire ça. Par exemple, on leur demande d’utiliser un article de presse récent. » Malgré cela, les plagiaires sévissent encore et toujours. Ils copient Wikipédia, ou bien n’importe quel site Internet, du moment qu’il traite de leur sujet. Et puis, il existe des sites sur lesquels il est possible d’acheter des devoirs clé en main. Mais pour les démasquer, pas besoin de logiciel spécial. « J’écris un morceau du travail de l’étudiant sur Google et je vois s’il y a des réponses » explique Christine.

Assouline aurait été bien inspiré de relire ce passage. Il fait assez justement état d'un processus en deux temps 1° le plagiat / 2° la lutte contre le plagiat. Soyons clair, le plagiat a toujours existé dans le système scolaire. On ne fera croire à personne que les nombreux profils d'une œuvre sont uniquement là pour aider l'élève à comprendre le bouquin qu'il lit. Il y a là une certaine hypocrisie qui profite en fait aux élèves favorisés, ceux qui ont les moyens de s'équiper de toute une littérature parascolaire. L'intérêt de Wikipédia, c'est d'égaliser ce travers, qui n'est plus l'apanage d'une minorité privilégiée, mais virtuellement accessible à quiconque dispose d'une connexion internet.

Cependant, l'accessibilité du texte original joue également en faveur de la détection du plagiat. Si il s'agit d'une copie brute, il suffit de rechercher quelques extraits sur un moteur de recherche de type google pour en retrouver la source. Si il s'agit d'une copie détournée (ce qui est le cas avec Macé-Scaron), l'on peut toujours, en cas de doute, vérifier la teneur des premières entrées liées au sujet (dont l'article wikipédia).

La recrudescence toute récente des cas de plagiats, que ce soit en France ou en Allemagne, n'est vraisemblablement pas dû à une généralisation du plagiat, mais à une sophistication des méthodes de détection. La présence d'intertextualités (soyons gentil, il s'agit d'un ministre) dans la thèse de doctorat du ministre de la défense allemand Karl Theodor Guttenberg a été mise en évidence par un organe de presse réputé, le Sueddeutsche Zeitung. Embrayant sur ces soupçons, un site créé pour l'occasion, GuttenPlagWiki a identifié la plupart des emprunts non-guillemés de cette thèse. Assez significativement, ce site adopte une infrastructure wiki — comme si ce modèle éditorial était particulièrement adapté pour lutter contre le plagiat.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Wikipédia ne favorise guère le copier-coller (plus connu sous le terme de Copyvio ou Violation de copyright). Sur Wikipédia.fr, la page d'aide, le copyvio pour les nuls, résume les démarches à suivre. Pour les besoins de la démonstration, on synthétisera la procédure en trois grandes étapes : 1° Apposition d'un bandeau de suspicion, 2° Identification du texte source, 3° Retrait du plagiat et purge de l'historique (autrement, le plagiat demeurerait dans les archives des contributions antérieures).

Si la page d'aide s'appesantit sur les démarches possibles des étapes 2 et 3, elle reste relativement muette sur la première. Qu'est-ce qui permet de suspecter un texte, en dehors de la simple impression de l'avoir déjà-lu ? Supposons qu'un plagiaire entreprenne de gonfler un article historique à partir d'un manuel épuisé de longue date. La probabilité qu'un contributeur lise ce plagiat avec le texte source en tête est infime. Faute de réclamation, le plagiat risque de se perpétuer ad vitam æternam.

C'est sans compter sur un indice anthropologique fondamental : la différence des styles. Contraints par les premiers et seconds principes fondateurs, les contributeurs réguliers se doivent d'adopter un style neutre, encyclopédiste, assez proche en fin de compte du degré zéro de l'écriture de l'ami Barthes. Or, ce style n'est pas si courant, même dans la littérature académique contemporaine — j'ai vu bien souvent des professeurs-intellectuels céder à un lyrisme d'assez mauvaise aloi. Le contraste entre la tonalité du plagiat et celle du reste de Wikipédia est bien souvent assez net pour susciter une suspicion première. En outre la différence des styles s'applique également au plagiaire. Un utilisateur capable, selon les jours et les situations éditoriales, de s'exprimer dans un français classique et dans un langage SMS attirera à n'en point douter l'attention générale. De fait, sur le long terme, un plagiaire a très peu de chance de s'en sortir, même lorsqu'il s'agit d'un contributeur éminent comme Maffemonde.

On a longtemps prétendu que le Web encourageait l'anarchie, le populisme, la disparition des gardes-fous scientifiques. On constate en réalité l'effet inverse. En communisant l'ensemble des savoirs existants, le Web permet d'en évaluer immédiatement l'originalité (et aussi, soit dit en passant, la qualité).

De fait, les positionnements s'inversent également. En 2007, Assouline prenait la confortable posture du professeur qui condescendait à démonter le mécanisme d'un phénomène numérique éphémère. La littérature française sur Wikipédia était inexistante : 60 pages suffisaient amplement à rendre compte de cet objet. L'important, ce n'était pas d'être exhaustif mais d'éveiller l'opinion aux dangers latents de cette organisation populiste, qui prétend faire de chacun un émetteur de savoirs.

Quatre ans plus tard, Wikipédia est toujours là. Le contenu encyclopédique reste inégal, mais les articles labélisés témoignent d'une exigence scientifique sans beaucoup d'équivalents. De son côté, Assouline doit défendre un plagiaire compulsif dont la déontologie littéraire est pour le moins sujette à caution. Il se retrouve, ipso facto, solidaire de plusieurs vandales qui, au cours des derniers jours, n'ont pas hésité à retirer les informations compromettantes de la biographie de Macé-Scaron. Parmi eux, on trouve l'éditeur du bonhomme… Après ça, c'est un peu compliqué de faire des leçons de morale à l'attention des lycéens-copieurs-de-wikipédia.

Du deux poids, deux mesures, on glisse lentement vers le deux poids, une mesure… On comprend que certains profiteurs du système antérieur aient du mal à s'y faire.

5 commentaires:

GH a dit…

Ghost writer peut être traduit par "teinturier", ce qui évite l'emploi de l'expression douteuse à laquelle tu fais allusion. PL Sulitzer parlait de "collaborateurs"... Sinon c'est vrai qu'Assouline est assez pathétique dans le rôle de Don Quichotte.

Anonyme a dit…

> Assez significativement, ce site adopte une infrastructure wiki — comme si ce modèle éditorial était particulièrement adapté pour lutter contre le plagiat.

ou, au hazard, au travail collaboratif sur un sujet.

P. Lechien a dit…

Excellent billet.

Alexander Doria a dit…

@GH : Ah, tiens, je ne connaissais pas cette acception-là de teinturier. C'est pas mal comme expression — je garde en magasin. Par contre, collaborateur me semble aussi un peu miné (heures sombres de notre histoire et tout le tremblement…)

@Darko : dans le cas précis, c'est pas forcément la première solution qui s'impose à l'esprit. Nos amis allemands auraient tout aussi bien pu adopter un système d'annotation collaborative de type Copia…

@P. Lechien : Merci cher collègue. Que la chasse à la chaussure te soit fructueuse…

foldingue a dit…

Ghost writer devrait se traduire simplement par "écrivain fantôme" ! pourquoi se compliquer la vie ?