mardi 30 octobre 2012

Vers un second blackout à l'italienne…

Par rapport à ce que je décrivais dans mon dernier billet, la situation s'est pas mal compliquée sur la wikipédia italophone. Je vais essayer de résumer tout cela simplement.

Depuis cinq jours, l'ensemble des articles et des pages sont précédés un bandeau d'avertissement préalable. La traduction française est disponible ici. Elle rend compte du problème en ces termes.
Wikipédia reconnaît le droit à la protection de la réputation de chacun, et les utilisateurs qui y contribuent gratuitement se mobilisent déjà tous les jours pour s'en assurer. L'approbation de cette norme, cependant, obligerait à modifier le contenu indépendamment du respect de la neutralité de point-de-vue.
Vers quoi s'achemine-t-on ? Après plusieurs tergiversations, les contributeurs italophones semblent privilégier l'option d'un blackout préventif. Un nouvel élément a, un temps, failli renouveler la donne. Un amendement discuté au Sénat permettrait d'exclure d'emblée Wikipédia du champ d'application de la loi. Un article du Corriere della Serra spécifie ainsi que :
L'obligation de rectification ne concerne que les textes journalistes et ne vaut que pour les articles publiés. Il n'y a aucune obligation pour les commentaires.
Or, Wikipédia n'héberge pas de textes journalistiques (qui requièrent un travail inédit, soit une pratique explicitement rejetée par les principes fondateurs). Elle ne serait donc pas directement concernée.

L'amendement aurait néanmoins une incidence secondaire significative : Wikipédia devrait corriger les sources journalistiques rectifiées. Et, certaines dispositions de la loi demeurent relativement ambiguë. Le contributeur Codicorumus souligne ainsi que l'alinéa n°6 concernerait toujours potentiellement Wikipédia. Celui-ci prend en compte de manière large les publications non périodiques (stampa non periodica). Leur éditeur serait astreint à republier une nouvelle version tenant des rectifications exigées. A priori, Wikipédia pourrait rentrer dans ce champ.

En somme, qu'il soit direct ou indirect, le risque d'une déformation significative de la NPOV demeure. Raison pour laquelle, les italophones se décident finalement à sortir l'artillerie lourde.

Un vote est ainsi organisé pour détailler les modalités d'un éventuel blackout. L'option n°2 est la plus appréciée (46 pour vs. 2 contre). Elle consiste en une sorte de blackout intermittent : le sitenotice s'affiche pendant quelques secondes, puis le lecteur peut accéder à la page de l'encyclopédie. Elle est suivie par l'option n°1 qui consiste purement et simplement en une reproduction de la grève de l'année dernière (blackout complet sans possibilité a priori d'accéder aux articles — même si une bidouille informatique reste toujours possible).

Le blackout édition 2012 serait ainsi plus soft que le blackout édition 2011.

jeudi 25 octobre 2012

Remake italien…

Mise à jour : la loi incriminée aurait apparemment été amendée, et ne constituerait plus une menace pour wikipédia en général et le second principe fondateur en particulier. Les wikipédiens italiens discutent en ce moment de l'opportunité de maintenir un sitenotice et/ou d'organiser un blackout.

Comme je viens de le signaler sur Twitter, la Wikipédia italophone est sur le point de récidiver son coup d'éclat d'octobre 2011.

A moins d'être un nouveau venu sur Wikipédia ou de limiter votre champ de contribution aux menhirs du Var ou aux philosophes mégariques, vous avez sans doute entendu parler de cette première révolte wikipédienne, qui a d'ailleurs en grande partie inspiré la grande grève anglophone contre le SOPA.

La cause de cette nouvelle grève est la même qu'en 2011 : une disposition en discussion depuis plusieurs années au parlement italien. A l'époque, cette disposition étaient contenue dans le Comma (ou alinéa) n°29 de la DDL. A la faveur d'un petit toilettage, elle a changé de numérotation et possède maintenant un statut de loi indépendante, dite Disegno di Legge N. 3491.

Le Comma 29 et le Disegno 3491 ne diffèrent quasiment pas. Dans un cas comme dans l'autre, tout texte pressenti comme diffamatoire pourra être retiré à la simple demande de la personne qui s'estime diffamée, sans passer par le circuit judiciaire usuel. Le refus d'obtempérer entraîne le versement d'une amende importante. Comme je le soulignais en octobre, l'application stricte de ce cadre légal est clairement attentatoire au respect de la neutralité de point-de-vue. Il devient difficile de rédiger une encyclopédie dans ces conditions.

Quelques concessions mineures ont été apportées aux journalistes qui protestaient de longue date contre cette loi-baillon. En particulier, les pénalités ont été abaissées de 30000€ à 5000€.

Ce second blackout a un petit air de déjà-vu. En juin dernier, les wikipédiens italiens étaient sur le point de s'y résoudre. L'examen de la loi avait été finalement repoussé in extremis à la rentrée, repoussant d'autant l'examen d'une protestation concordante. Or, nous y sommes.

Depuis quelques instants, les centaines de milliers d'articles de la wikipédia italophone sont précédés d'une large bannière informative :

 

Ce n'est qu'un début. La discussion se poursuit actuellement sur une sous-page du bistro local. Pour l'instant le consensus paraît nettement favorable à un blackout (environ 85-90% de soutien). Incessamment sous peu, tous les articles du wikipédia italiens devraient rediriger vers une seconde bannière :


Dans l'ensemble, les contributeurs insistent mettent en évidence que, si cette menace n'est pas nouvelle, elle semble cette fois imminente (stavolta la loro approvazione sembra imminente). Ses conséquences n'ont rien d'anodins : la loi met directement en péril le second principe fondateur de Wikipédia, la neutralité de point de vue (obbligherebbe ad alterare i contenuti indipendentemente dalla loro veridicità).

Cette adresse se termine sur une promesse sans ambiguïté : l'encyclopédie est le patrimoine de tout-le-monde, nous ne permettrons pas qu'elle disparaisse (L'Enciclopedia è patrimonio di tutti. Non permetteremo che scompaia).

Là dessus, je me permettrai quelques observations, pas forcément très positives. Je suis un peu surpris de l'apparent attentisme de Wikimedia Italia. Le wiki de l'association comporte peu d'information sur la DDL ou sur d'éventuelle tentative de contre-lobbying. C'est d'autant plus curieux que Wikimedia Italia ne manquait pas de munitions et pouvait sans doute lancer une large campagne de prévention.

On peut discerner au moins quatre arguments ou relais éventuels :

1. Le temps, déjà, tout simplement. Entre le premier blackout et son éventuel successeur, il s'est écoulé plus d'un an. Soit largement le temps nécessaire pour s'organiser.

2. Le Comma 29 devenu Disegno 3491. Il est manifestement mal foutu et difficilement compatible avec la structure décentrée d'Internet. Les parlementaires ne sont pas des gens complètement bornés : quelques démonstrations par l'absurde (évidemment bien médiatisées) auraient peut-être suffit à les convaincre de la nécessité de réexaminer tout ça. D'autant que Silivio Berlusconi n'est plus là pour en faire une affaire personnelle…

3. La menace d'un nouveau blackout. A ma connaissance, on en parle assez peu dans la presse italienne. En dépit de l'imminence de la chose les résultats de google actualité sont plutôt maigrelets. Cela reste en grande partie de la cuisine interne à it.wiki. Il ne fallait pourtant pas hésiter à publiciser cette épée de Damoclès.

4. Les soutiens publics dont dispose Wikipédia : associations libristes, journalistes, éventuellement des députés. Ces soutiens sont loin d'être négligeables. Deux contributeurs francophones étaient bien parvenus à mettre en place un vote sur la liberté de panorama à l'Assemblée nationale. Ça ne s'était finalement pas révélé concluant, mais cela prouve au passage la marge de manœuvre n'est pas si restreinte que ça.

Bref, j'ai un peu l'impression que la communauté italophone se trouve contrainte d'agir par elle-même. Et donc, de recourir à la manière forte. Est-ce la bonne option ? Pas forcément. A mon avis, le blackout perd de son efficacité dès qu'il est répété. On pourrait presque parler d'un one-shot : une fois l'effet de surprise initial dissipé, le risque existe que les décideurs politiques passent outre.