mardi 5 février 2013

Trans

Alexander a retrouvé ses clefs d'ici et ça m'a rappelé que j'en avais un double dans mon trousseau. Pourquoi ne vous infligerais-je donc pas une diatribe désordonnée sur ma marotte du moment ? À savoir, la traduction sur Wikipédia. Ou, pour être exact, la mauvaise traduction sur Wikipédia.

Jérôme de Stridon, saint patron des traducteurs et des étudiants
– doublement cher à mon cœur, donc
L'une des façons d'enrichir Wikipédia consiste effectivement à traduire des articles provenant d'autres éditions linguistiques de l'encyclopédie : la licence sous laquelle elle est distribuée autorise tout à fait ce genre de procédé, pour peu que l'on n'oublie pas de créditer les auteurs originaux à l'aide du modèle adéquat. Le plus souvent, ces traductions s'effectuent à partir de l'anglais, puisque c'est d'une part la langue étrangère la plus diffusée en francophonie (et dans le monde entier, au fond), et d'autre part (ce qui n'est pas sans lien avec ce premier point) la langue qui possède le plus grand nombre d'articles : plus de quatre millions à l'heure actuelle, soit trois millions de plus qu'en français, et ceux qui existent dans les deux langues sont souvent (mais pas toujours, loin de là) plus développés en anglais. Bref, il semble n'y avoir que des avantages à traduire : c'est un moyen simple et rapide (davantage que d'écrire un article ex nihilo, en tout cas) d'améliorer Wikipédia en français, à la fois quantitativement (en créant de nouveaux articles) et qualitativement (en améliorant les existants).

Là, vous attendez un « mais » et vous avez bien raison. Donc, mais :

Encore faut-il que ce soit bien fait, et avec intelligence. Quitte à énoncer des platitudes, j'ai envie de rappeler qu'on ne s'improvise pas traducteur, et qu'il ne suffit pas de comprendre l'anglais (ou toute autre langue étrangère) pour pouvoir en traduire. C'est un travail délicat et subtil, qui exige de s'adapter au texte d'origine, mais qui exige également une bonne connaissance de la langue d'arrivée, ainsi que de solides notions du sujet dont on traite, même si les articles de Wikipédia sont censés être accessibles en eux-mêmes (et qu'ils échappent en grande partie, du fait même de leur nature encyclopédique, à d'autres pièges classiques de traduction comme l'intertextualité, les jeux de mots ou autres références culturelles).

Que voit-on, donc, sur Wikipédia ? Des traductions automatiques, bien entendu : il serait étonnant d'échapper à la solution de facilité par excellence, en dépit de ses faiblesses inhérentes. Heureusement, il est désormais bien entré dans les mentalités que de tels salmigondis sont à incendier illico presto, et ils ne font guère de mal à l'encyclopédie. Plus inquiétant à mon sens sont les traductions réalisées par des contributeurs de bonne volonté, mais qui ne maîtrisent pas, au choix, le fond de ce qu'ils traduisent, ou la forme de ce qu'ils produisent. Au risque de se retrouver avec des articles au style défaillant (collocations foirées, registres de langue négligés, concordance des temps dans les choux, you name it – c'est généralement lié à un désir malavisé de coller autant que possible au texte d'origine), voire au contenu erroné, soit que l'erreur ait été présente dans le matériau de base, soit qu'elle ait été introduite pendant le processus (j'ai récemment croisé un article, bien parti pour recevoir le label « bon article », qui confondait ainsi empire mongol et empire moghol...).

La moustache, peut-être ?
Certes ennuyeuses, les mauvaises traductions deviennent carrément gênantes quand on les voit justement recevoir les labels « article de qualité » ou « bon article » sans que grand-monde ne sourcille. Je me sens souvent seul à pointer les défaillances stylistiques ou de traduction de ces articles. Cela s'inscrit sans doute de façon plus générale dans la question de la fiabilité des labels, un marronnier dont on récolte toujours régulièrement les fruits, mais cela m'inquiète quand même un peu.

Partons néanmoins de l'hypothèse que je ne suis pas un frustré psychorigide et qu'il y a effectivement un problème. Que faire pour améliorer la situation ? L'Atelier de lecture souffre malheureusement d'un manque chronique de bras (et votre serviteur se flagelle de ne pas y être plus actif), et l'Atelier de relecture ne semble guère mieux loti. Peut-être faudrait-il se tourner vers le vénérable projet Traduction. Créé en 2005, c'est depuis plusieurs années une coquille vide, usine privée d'ouvriers qui continue pourtant à tourner grâce à ses innombrables modèles et procédures qui embarrassent plus d'un nouveau bien intentionné. Dégraisser le mammouth (ah non, le totem de 2005 c'est le rhinocéros laineux) serait une tâche difficile et lourde, mais probablement bienvenue et positive, à condition de rassembler une masse critique de contributeurs suffisante pour que l'effort ne s'interrompe pas au bout de quelques mois.

vendredi 1 février 2013

Lubies…

Je me dis souvent que je devrai changer mon rythme d'écriture : au lieu de sortir une analyse aboutie une fois tous les trois mois, produire des textes plus brefs et moins creusés… Je tente aujourd'hui  une petite considération inactuelle.

Les discussions sur l'admissibilité des articles ne sont pas nouvelles. On en retrouve facilement la trace dès les débuts de Wikipédia.

Une récente discussion sur le blog de l'ami Pierrot s'avère assez instructive à ce propos. On s'aperçoit en effet que nous sommes presque tous l'inclusionniste ou le suppressionniste de quelqu'un. Chaque contributeur a sa petite lubie, son petit lieu d'expertise bien pointu dont il prend grand plaisir à explorer les moindres recoins. Cela peut être les ruisseaux de l'Alaska, les évêques québecquois, les cabines du Titanic, les préfets français…

Il n'y a rien de surprenant à cela. Le principal moteur de la contribution wikipédienne est avant tout d'ordre affectuel : on se passionne pour quelque chose, quelque fois simplement pour le plaisir d'être passionné ; on cherche assez naturellement à laisser une trace de cette curiosité inassouvie.

J'ai été assez inspiré de choisir une lubie relativement irréprochable. Les petits philosophes grecs oubliés s'attirent en effet les faveurs des philologues, prêts à se disputer le moindre petit bout de fragment. C'est ainsi que j'arrive à écrire un article correct sur une personne qui n'a pas été évoquée plus de six fois dans toute la littérature antique.

Sans les lubies, Wikipédia ne serait sans doute pas… Composée uniquement de lubies, elle ne serait sans doute pas une encyclopédie… Toute la difficulté des discussions communautaires vient de la nécessité de ménager un délicat équilibre entre ces deux réalités.